« Pour la liberté de choisir son avenir professionnel »

Formation-Apprentissage-Chômage

Où est passé le volet social des promesses Macron ?

Le projet de loi porté par la Ministre Muriel Pénicaud est maintenant sur la table. Il est qualifié par la Ministre elle-même de prolongement des ordonnances réformant le code du travail et vise à réformer l’apprentissage, la formation professionnelle et l’assurance chômage. Force est de constater, que le big bang qui nous était promis risque fort d’être finalement un nouveau pas de franchi vers le libéralisme, décidément bien ancré au cœur du nouveau monde annoncé souhaité par le président Macron. L’étau jacobin à l’œuvre depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron se resserre à nouveau avec la remise d’une des compétences historiques des régions, la formation : retour en arrière historique sur le mouvement de décentralisation.

 

 

Les transitions, qu’elles soient écologique, numérique ou sociale, se conjuguent inévitablement avec les transitions professionnelles. Pour relever les défis sociétaux qui s’imposent à nous, nous devons faire le pari de la capacité de tous à agir. Vouloir une nation entreprenante et apprenante ne se décrète pas, ni se décide d’en haut. Cela se construit ensemble et partout.

Nous nous battons pour que notre appareil de formation donne à chacune et chacun le pouvoir d’être acteur des transitions en cours, en préparant par exemple aux nouveaux métiers et compétences utiles en matière énergétique, numérique, pour le génie écologique, l’écologie industrielle ou bien encore l’économie circulaire.

Depuis de nombreuses années, nous avons œuvré pour que les Régions portent un véritable service public de la formation tout au long de la vie, en s’appuyant sur leurs compétences en matière de formation professionnelle initiale, d’apprentissage et de formation continue. Elles contribuent aujourd’hui à l’égalité des droits à la formation, tout comme elles agissent pour l’égalité d’accès à l’offre dans les territoires. Les régions ont été renforcées dans leurs compétences par la loi Notre et la réforme de 2014. Ces lois à peine mises en œuvre, sans aucun effort de bilan, et contre l’avis de la très grande majorité des acteurs des territoires, le gouvernement fait le choix d’une véritable rupture dans la construction de ce service public de la formation tout au long de la vie accessible à toutes et tous. Contrairement à ce que clame la Ministre, les bouleversements proposés n’offriront pas une plus grande liberté de choisir son avenir professionnel, mais augmenteront les inégalités et renverront à chaque personne, la responsabilité de sa propre employabilité.

 

Une énième réforme de l’apprentissage…

 

L’apprentissage, non à la privatisation ! Le projet de loi prévoit de confier aux branches professionnelles la responsabilité d’ouvrir ou de fermer les centres de formation des apprentis. Jusqu’à présent, les Régions construisaient les cartes de l’apprentissage, tout comme celle de la formation professionnelle initiale, dans une logique d’aménagement équilibrée des territoires. Le projet prévoit également de financer les CFA "au contrat", c'est-à-dire selon le nombre d'apprentis qu'ils accueillent. Cela revient à confier aux seuls acteurs économiques la responsabilité d’une des voies de formation initiale dans une approche marchande. Exit la logique de service public et le rôle des régions pour garantir une péréquation des moyens entre tous les secteurs et tous les territoires. C’est le tournant libéral tant rêvé par le MEDEF. Mais un tournant qui inquiète la majorité des professionnels non affilés à une branche riche et organisée, dans les domaines de l’artisanat ou de l’agriculture par exemple. Où trouveront-ils les moyens de former pour leurs métiers ? Que deviendront les formations très ciblées à faibles effectifs peu rentables mais nécessaires ?

L’apprentissage, d’abord une voie de formation initiale ! L’apprentissage est une des voies de formation initiale et ne doit pas être regardé sous le seul angle des exigences du marché de l’emploi. Autoriser la semaine de 40 heures et les heures supplémentaires, le travail de nuit, l’exclusion des ruptures de contrat de travail de la procédure prud’homale… Alors que la majorité des apprentis sont mineurs, la réforme répond d’abord aux exigences des employeurs, oubliant totalement de garantir un cadre protecteur pour les jeunes. A contrario rien n’est proposé pour lutter contre le décrochage trop élevé (jusqu’à 30% de ruptures des contrats) ou pour faciliter l’orientation et les changements de voies de formation.

La formation professionnelle sous statut scolaire totalement oubliée. Nombreux sont les gouvernements qui ont rêvé d’augmenter les chiffres de l’apprentissage, sans jamais y parvenir. Pour cela, on mise sur le tout apprentissage en opposant les voies, au détriment de la formation professionnelle sous statut scolaire à laquelle on ne donne plus d’ambition. Là encore les Régions sont les mieux placées pour porter l’ambition d’une véritable diversité dans l’offre de formations, quelques soient les voies. Elles peuvent faciliter une véritable coordination entre les Centres de Formation des Apprentis et lycées professionnels plutôt que de nourrir la concurrence.

 

Réforme de la formation professionnelle : simplification ou réduction des droits ?

 

L’objectif affiché : faciliter la formation professionnelle des personnes les moins qualifiées et démocratiser le système, en simplifiant la gouvernance et l’accès individuel à l’offre. Personne ne peut être opposé en soit à l’idée de simplification mais le plus souvent, cela se traduit en fait par des réductions de droits ou de moyens.

La recentralisation au détriment de la qualité du dialogue social et de l’efficacité. Si nous partageons l’objectif de simplification de la gouvernance de la formation pour justifier la création de la nouvelle agence France Compétence, nous sommes inquiets que cela se fasse détriment du dialogue quatripartite qu’avait renforcé la loi de 2014. D’autant que le projet de loi est silencieux sur l’avenir des CREFOP, instance de ce quadripartisme dans les régions. L’absence de réel dialogue social pour construire cette réforme a de quoi confirmer ces inquiétudes. Quant à la collecte de la cotisation unique par les URSSAF, elle peut sembler de prime abord une bonne idée. Pourtant, rappelons que les OPCA qui collectent aujourd’hui ces fonds remplissent aussi une mission de sensibilisation à l’enjeu de formation, ce qui ne sera pas le cas des URSSAF cantonnées au volet financier. Une fois la contribution versée, les futurs opérateurs de compétences pourront-ils réellement jouer leur rôle et éviter un désintérêt pour la formation ?

L’accès à la formation, une responsabilité collective. Vouloir rendre plus facile l’accès à la formation est louable, mais les réponses proposées sont inadaptées. Le Compte Personnel de Formation (CPF) peine à s’installer, particulièrement pour les moins qualifiés : il n’est utilisé que par un ouvrier ou employé sur quatre ! Penser que son passage en euros et le développement d’une application numérique règleront ce problème est illusoire. Les personnes en situation de fragilité professionnelle ont besoin d’un accompagnement et d’être conseillées sur leurs options tout comme rassurées sur leurs capacités. Qui plus est, libeller ce CPF en euros risque fort d’entraîner une marchandisation de la formation au détriment du choix et de la qualité. C’est surtout de plus de moyens dont la formation a besoin : il faudrait sans doute doubler les droits annuels pour que le CPF puisse répondre aux attentes et donner accès à des formations pleinement utiles. Enfin, confier le conseil en évolution professionnel (CEP) à un unique opérateur dans chaque région constituerait une réduction de l’écosystème de l’accompagnement et des dynamiques partenariales et collectives en place pour permettre l’accès à la formation de tous les publics : ce n’est par exemple pas le même métier de s’adresser à un cadre qui rebondira vite après un bilan de compétence qu’à une personne très éloignée de l’emploi qui a besoin de construire son projet professionnel en passant par un organisme d’insertion.

 

Assurance chômage : accompagner au lieu de « traquer »

 

Les avancées promises par le candidat Macron seront finalement très réduites : l’ouverture du droit au chômage pour les démissionnaires ne concernera au final que 20 000 démissionnaires en plus chaque année, les situations ouvrant droit à l’indemnisation pour les indépendants en perte d’activité seront très limitées et le projet abandonne la promesse d’un malus qui devait s’imposer aux entreprises ayant trop recours aux contrats courts.

Par contre, le gouvernement envisage d’augmenter le nombre de contrôleurs au sein de Pôle emploi pour dissuader quelques chômeurs découragés. Est-ce vraiment la priorité ? Est-ce en mettant le paquet sur le flicage que l’on va redynamiser l’emploi ? Il est irresponsable de nourrir l’idée que les chômeurs ne veulent pas travailler ou sont des fraudeurs. Seuls 43 % des chômeurs sont indemnisés sur les 6,6 millions d’inscrits et il n’y a qu’entre 200 et 300 000 offres disponibles. Mieux vaudrait investir pour que les conseillers Pôle emploi aient les moyens réels leurs missions.

 

Au final, cette réforme, malgré quelques mesures intéressantes, passe à côté d’enjeux majeurs. Les écologistes y voient un net recul de la décentralisation, une dénaturation de l’idée de formation tout au long de la vie et un affaiblissement des droits et des solidarités pour les demandeurs d’emplois comme pour les salariés. Totalement silencieux sur les enjeux de la transition écologique et des métiers de demain, ainsi que sur le rôle de la formation pour accompagner le changement de modèle qui s’impose, ce projet de loi suscite à juste titre de nombreuses inquiétudes. Les élu-e-s écologistes dans les Régions feront entendre leur voix et valoir leurs propositions pour une autre réforme au service du pouvoir d’agir, de la sécurisation des parcours et de la réussite des transitions.